Fondasion
Droit talmudique

Licenciement d’une graphiste pendant sa grossesse

Responsa – RAMAT MICHPAT – Tome 3 sur Choul’han Aroukh, ‘Hochen Michpat

Auteur : Rav Avishay Taharani, Juge Rabbinique Traduit & adapté par Rav Shlomo Boccara


Question

Noa, graphiste professionnelle, travaille dans un grand journal, que Tomer dirige. Un jour, la marque de vêtements Béged véNaal adresse une commande publicitaire au bureau de Noa. Celle-ci se souvient alors qu’elle a déjà fait un travail similaire pour une autre marque d’habits Misroh véad naal : il ne lui reste plus qu’à utiliser ce premier travail, lui donner un petit coup d’éclat, et le tour était joué ! Mais elle oublie de supprimer le logo du premier commanditaire, et la publicité est envoyée sans la retouche. Inutile de décrire la colère du client qui doit payer pour la même publicité que son concurrent, mais plus encore, son design laisse entendre que sa marque est une sous-marque de la première ! S’estimant trahis, ils décident non seulement de ne pas payer la facture, mais plus encore ils exigent du journal indélicat des dommages et intérêts. Tomer accepte de publier plusieurs publicités gratuites pour calmer leur colère. Suite à cette grave faute professionnelle, Tomer décide de licencier Noa pour incompétence : il la convoque, la remercie pour son travail et la renvoie aussitôt. Il lui impose également de signer une décharge concernant ses droits financiers, et autres dédommagements. Noa, qui est dans les derniers mois de grossesse, n’a pas le loisir de s’entretenir plus longtemps avec Tomer des conditions de ce renvoi inattendu. Mais après son accouchement, elle dépose une demande d’indemnisation contre son employeur avec l’argumentation suivante :

1/Il lui était interdit juridiquement de la renvoyer, vu son état de grossesse avancée. De plus, du fait qu’elle conteste son renvoi, elle se considère comme travaillant toujours dans cette société, et affirme que le salaire mensuel des derniers mois lui revient.

2/Renvoyée avant son accouchement, elle n’a pas reçu la prime d’accouchement qui lui reviendrait si elle avait travaillé jusqu’à la naissance. Elle revendique donc son droit d’en bénéficier.

De son côté, Tomer ne veut rien entendre, car elle n’a pas été renvoyée à cause de sa grossesse mais pour avoir commis une grave faute professionnelle, laquelle a pénalisé sa société. De plus, selon lui, Noa n’avait un contrat ni journalier, ni hebdomadaire, et encore moins mensuel ; elle rendait des services ponctuels que le journal payait une fois accomplis. Elle ne peut donc pas se considérer comme employée de cette société.

Lequel des deux a raison ? Où se trouve la vérité ?

Réponse

Ce sujet sera traité sous six angles bien différents :

1. Droit civil des employés : la coutume a-t-elle force de loi ? Sur le versement d’indemnités : position du droit talmudique concernant le salaire d’un employé ;

2. L’accouchée face au droit civil ;

3. Licenciement d’un employé travaillant dans le domaine religieux ou profane ;

4. Renvoi suite à une négligence ;

5. Lois civiles concernant le licenciement d’une femme enceinte ;

6. Un employé payé à la tâche a-t-il les mêmes droits qu’un autre employé ?

Conformément au traité Baba Metsia (83a) et au Choul’han Aroukh (‘Hochen Michpat chap.331,2), nous devons tout d’abord convenir d’une règle qui, en matière d’emploi, donne la primauté au droit civil sur le droit talmudique. Par exemple, pour calculer le salaire d’un employé payé à la journée (et évaluer le nombre d’heures travaillées), la Tora stipule que cela commence dès le crépuscule et se termine à la sortie des étoiles (soit la nuit venue), ce qui équivaut à plus ou moins douze bonnes heures. Par contre, la loi civile ne retient que huit heures de travail net : au-delà, le travailleur est considéré comme effectuant des heures supplémentaires payées à un tarif plus élevé et défini par la loi.

Si lors de la signature du contrat de travail, les deux parties n’ont pas convenu de s’en remettre aux lois religieuses, ce sera à la loi civile de trancher en cas de conflit. Or d’après la loi civile qui protège l’employé plus que l’employeur, il est interdit à ce dernier de faire signer par son employé un renoncement à ses droits financiers ou autres dédommagements. Tomer n’avait donc pas le droit de faire signer à Noa cette décharge qui annulait ses droits, et qui plus est au moment de son renvoi : sa signature n’a donc aucune force juridique. Noa est alors dans son droit de réclamer des indemnités, et ce serait à Tomer d’avoir à agir conformément à la loi.

Le Talmud Yérouchalmi (Baba Metsia 7,1), suivi par le Choul’han Aroukh (Beit Yossef, ‘Hochen Michpat 331,5) et le Rama (Séfer Hamapa chap.1), établit que c’est la majorité des travailleurs d’un même pays qui décidera de ce qui est « normal et convenu » dans les relations entre employeurs et employés. Par définition, le concept d’« habitude » renvoie à une situation qui se répète en de nombreuses occasions, et dont l’issue aura été la même à chaque fois.

Un pays qui, face à une situation donnée, n’aurait pas d’« habitudes » en matière juridique, devra calquer son comportement sur les nations environnantes, et ainsi devrait-on agir en Israël (Beit Yossef, ‘Hochen Michpat siman 73,4). Si une même situation se reproduit trois fois successivement, le ‘Hazon Ich (Nezikin, Baba Batra chap.5 paragraphe 2) tranche qu’il s’agit d’une « habitude », et que la coutume fait alors force de loi (Maharam, Darké Moché chap.163).

De nos jours, même dans le secteur religieux, il est de coutume d’indemniser l’employé renvoyé, conformément aux lois civiles en vigueur, en lui accordant la paye d’un mois de salaire par année de travail fourni au sein de cette société.

Mais selon le droit talmudique, il existe une différence entre le renvoi d’un employé travaillant dans le domaine religieux et celui employé dans un secteur profane. En effet, il serait interdit de renvoyer un homme préposé aux services cultuels ou autres, à moins qu’il ait commis un méfait ou encouragé à commettre un délit (responsa Rivach chap.271). Cependant lors d’un contrat concernant une activité laïque, l’employeur a la possibilité de renvoyer comme bon lui semble son employé en fin de mission. Il n’est pas obligé de renouveler son contrat (‘Hazon Ich, Baba Kama chap.23,2).

Rav Moché Feinstein dans son responsa Igerot Moché (vol.1 ‘Hochen Michpat chap.75) s’intéresse au cas d’un contrat à durée indéterminée dans une région où la règle à suivre n’est pas fixée. Il serait interdit au patron de renvoyer son employé tant que celui-ci désire garder ce poste, et cela pour la bonne raison que son contrat est un engagement à vie ! Mais d’autres grands décisionnaires n’acceptent pas ce droit accordé à l’employé, et considèrent que l’employeur est autorisé à licencier son employé en fin de mois au moment de sa paye, même lors d’un contrat à durée indéterminée (responsa Netsa’h Israël chap.8 ; Divré Malkiel et ‘Hazon Ich).

Des écrits précédents, il nous est impossible de déduire la marche à suivre concernant le différend existant entre Tomer et Noa, car ces dispositions ne concernent que les embauches dans le domaine religieux, or la situation évoquée ici se situe sur le terrain profane. Dans le droit civil, il est interdit de renvoyer une employée enceinte (Loi du travail féminin 1954), et la décision de Tomer est dès lors illégale. Dans le cas où l’employeur se serait permis d’outrepasser cette loi, celle-ci l’obligerait à indemniser son employé en lui payant la paye entière et complète qu’il aurait dû lui verser jusqu’à la fin de son contrat (Loi de limitation des renvois 2008 – 9,1). S’il n’accepte pas de payer cette somme, il pourrait être condamné jusqu’à six mois de prison ferme ou au paiement du double du salaire (Loi du travail féminin 1954 chap.14 – chap.61 a/3).

Mais tout cela n’est valable que si l’employé peut justifier d’un contrat de travail journalier, hebdomadaire, ou mensuel. Dans le cas inverse, qui est bien celui décrit dans la question, il apparaît que Noa n’était payée qu’à la tâche, ce qui change bel et bien les données du problème. Noa n’étant même pas considérée comme une employée soumise à un quelconque contrat, son employeur n’a aucune obligation de lui verser une indemnité financière !

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