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Droit talmudique

Enregistrement d’une leçon de chant sans l’accord du professeur – Droit Talmudique

Responsa RAMAT MICHPAT – Tome 3 sur Choul’han Aroukh, ‘Hochen Michpat

Auteur : Rav Avishay Taharani, Juge Rabbinique Traduit & adapté par Rav Shlomo Boccara

Question :

Un groupe d’étudiants supplie un jour Haïm, chantre de renommée mondiale, de leur enseigner son savoir-faire et de leur révéler ses secrets. Il refuse tout d’abord d’accéder à leur souhait, mais après une longue insistance, il accepte à condition que chaque élève lui verse 3000 shekalim. Tous paient la somme demandée, et louent une salle dans une yechiva, salle qu’ils ferment à clef afin d’empêcher l’accès à toute personne non associée financièrement au projet.

Zékharia, un étudiant dans cet établissement de Tora, au tempérament impétueux et difficilement contrôlable, est lui aussi intéressé par ce cours. Mais comme il n’en a pas les moyens, il décide d’acheter un mini-enregistreur, qu’il place allumé dans un coin discret de la salle. Il ne lui reste plus qu’à le récupérer pour recevoir la leçon… gratuitement.

Mais il s’avère quelques jours plus tard que Zékharia est choisi pour être officiant, et il ne manque pas de s’exécuter dans un style digne du maître Haïm. L’un des étudiants présents, surpris par ce talent soudain, identifie sans difficulté la cause de ce prodige et l’interroge sur la source de ce savoir. Ne provient-il pas du cours dispensé par Haïm ? Pourtant Zékharia ne faisait pas partie du groupe ! D’où l’a-t-il donc appris ? Plus encore : Haïm n’avait-il pas interdit à quiconque de transmettre son enseignement ?

Zékharia lui répond tout bonnement que, se trouvant à ce moment dans cet établissement, il a eu l’idée d’enregistrer – gratuitement – cette fameuse leçon. L’étudiant va alors rapporter ces faits à Haïm, qui ne manque pas de réclamer à Zékharia la somme de 3000 shekalim, en ajoutant qu’il n’avait pas accepté n’importe qui dans ce groupe, et que Zékharia n’aurait certainement pas été des leurs !

Zékharia quant à lui refuse fermement de verser cette somme. D’après lui son action n’a généré aucune perte financière à Haïm. Qui plus est, Haïm lui-même vient de reconnaître qu’il ne l’aurait pas accepté dans son cours. Il ajoute à son argumentation que le chant qu’il a entonné est connu : il n’a donc pas accaparé un savoir qui lui était personnel !

Dans cette affaire, qui a raison : Haïm le chantre ou Zékharia, l’étudiant malin ? Et si Zékharia est reconnu coupable, doit-il payer tout ou une partie de cette somme ?

Réponse :

Du traité Brakhot (28a), nous pouvons apprendre qu’un professeur peut interdire à autrui d’écouter son cours, du fait que lors de l’intronisation de Rabbi Elazar ben Azaria, on supprima le gardien placé à l’entrée du Beit Hamidrach à l’époque de son prédécesseur Rabban Gamliel, et cela parce qu’il empêchait l’entrée aux disciples dont il estimait le niveau insuffisant. Dès lors tout élève désirant s’instruire en Tora eut accès librement au Beit Hamidrach, qu’il en soit digne ou pas. On rajouta alors 700 bancs pour les nouveaux disciples. Nous pouvons donc en déduire que Rabban Gamliel refusait l’entrée à ceux qu’il jugeait inaptes.

Bien que du traité Baba Metsia (87b), on puisse déduire qu’il n’existe pas de vol concernant ce qui est immatériel – comme le son – les autres élèves de la yechiva ne se permirent pas, malgré tout, d’entrer là où Haïm enseignait. Plus encore, tout en considérant que Zékharia n’a causé aucune perte à Haïm, celui-ci avait d’emblée le droit de lui interdire de profiter de son savoir. Un élève qui ne tiendrait pas compte de cette décision transgresserait l’interdiction de ne pas voler (Responsa Emek Halakha partie 2 chap.28).

Cependant l’histoire de Hillel, ramenée dans le traité Yoma (35b), vient nous prouver le contraire. En effet, Hillel est l’exemple parfait du démuni dont la situation financière ne lui permet pas d’étudier. Ce géant en Tora était très pauvre : travailleur journalier, son salaire lui rapportait une pièce qu’il partageait entre les besoins de sa famille et ce qu’il devait payer pour accéder au lieu d’étude. Un jour de neige, Hillel ne trouva pas à s’employer, et comme le gardien du Beit Hamidrach l’empêchait d’entrer, mû par son amour pour l’étude, il monta sur le toit et colla son oreille à la lucarne afin d’entendre ce qui se disait à l’intérieur. C’était vendredi matin, et une neige épaisse tomba ce jour-là. Samedi matin, on s’étonna que le Beit Hamidrach était bien sombre : il s’avéra que Hillel s’était endormi sur la petite fenêtre et qu’il était complètement glacé. Pour le ranimer, on dut même profaner le Chabbat pour le ramener à la vie ! Mais Hillel avait-il le droit de profiter de l’étude faite au Beit Hamidrach sans s’acquitter de sa contribution ?

Nous pouvons en conclure qu’il est permis d’agir de cette façon, et que cette attitude ne s’apparente pas à du vol. Mais dès lors, comment accorder cet enseignement avec le précédent où nous avons déduit justement la loi inverse ?

Le Ben Ich Hay explique que concernant Hillel, le portier faisait simplement payer aux étudiants leur part dans les dépenses journalières de ce lieu d’étude, comme l’huile et les bougies. Raison totalement différente de celle du gardien placé par Rabban Gamliel qui – lui – filtrait les entrants en fonction de leur qualité. Du fait que Hillel s’est installé sur le toit, rien ne l’obligeait à contribuer aux dépenses, puisque seuls y étaient astreints ceux qui profitaient de la lumière. Il ne lui était donc pas interdit de prêter oreille, mais on ne peut pas en déduire qu’il est permis d’écouter un cours quand le maître l’interdit.

Cependant, comme l’écrit la Mehilta déRabbi Ychmaël (Michpatim chap.13), il semblerait que celui qui sans permission, entend un savoir de quelqu’un d’autre pour lequel celui-ci demande un salaire, bien qu’étant considéré comme un voleur, ne devra rien lui payer.

Le Mordekhy (Baba Metsia, remez 293) développe cette idée et nous apprend qu’un érudit qui recevrait en gage d’un prêt un livre comportant une étude personnelle de Tora d’une autre personne pourrait, sans sa permission, l’étudier et en recopier une partie, bien qu’en agissant ainsi il pourrait l’abîmer. Et cela, pour la bonne raison que son propriétaire connaissant la qualité du prêteur le lui a certainement confié en connaissance de cause. D’autre part, il n’est pas interdit de copier des écrits de Tora (Chakh, ‘Hochen Michpat chap.292,34).

Cependant le Taz (‘Hochen Michpat chap.292,65) conditionne cette permission au seul cas où le livre n’est pas ficelé par un nœud inhabituel, faute de quoi le propriétaire aurait manifesté de la sorte son opposition à ce qu’on lise ou recopie quoi que ce soit. Le prêteur sur gages aurait même alors l’interdiction d’ouvrir cet ouvrage ! Malgré cet argument logique, le Mordekhy permet sa lecture et sa reproduction, car cela ne fait rien perdre à son propriétaire ! Certes il n’est pas admissible d’agir ainsi, mais de là à devoir lui payer quelque chose, nous en sommes loin !

En tout état de cause, en cas de véritable nécessité publique, la loi permet de divulguer un secret appartenant à des individus isolés. Nous apporterons pour preuve l’attitude étonnante de Rabbi Yohanan dans le traité Yoma (84a), qui frappé d’une dangereuse maladie, alla consulter une femme non juive qui s’y connaissait en médecine. Après avoir obtenu ses soins, Rabbi Yohanan lui demanda comment s’y prendre durant Chabbat – jour où il ne pourrait pas venir se soigner – mais la femme ne voulut pas lui répondre, pour ne pas dévoiler son secret ! Elle le lui confia finalement, et Rabbi Yohanan ne manqua pas de le révéler, afin d’amener la guérison au sein du peuple juif.

Le Hachouké Hémed (Chabbat 123a) se penche sur le cas où ce savoir assure le gagne-pain d’une personne, et nous apprend – se fondant sur le comportement de Rava (Chabbat 123b) – qu’il est interdit de le faire si cela peut causer un préjudice à son propriétaire. Rava avait en effet donné un cours public où il enseignait à ses élèves comment préparer les pansements nécessaires après une circoncision. Lorsqu’ils apprirent qu’il divulguait de tels secrets professionnels, les médecins se déchirèrent les habits, car Rava leur avait fait perdre bon nombre de consultations. Il leur répondit : « Non ! Je ne vous ai pas privés de vos honoraires, car je ne leur ai pas tout dit. » Il connaissait le moyen de guérir une certaine maladie de son époque, et malgré cela il en tint le secret bien gardé, afin d’assurer la subsistance de ces mêmes médecins ! Rava expliqua qu’il s’était permis de faire partager la manière de faire les pansements après une circoncision, pour répondre à un besoin auquel était confronté toute la communauté. De plus, à ses yeux il n’était pas juste de recevoir un salaire ni pour pratiquer la circoncision ni pour en gérer les conséquences. On en déduit qu’il est totalement interdit de divulguer un savoir médical, et qu’on ne peut le faire qu’après s’être acquitté du prix demandé, et ce même dans les cas de maladies mortelles.

Dans le traité Méguila (28a), le Hachouké Hémed évoque le cas d’un grand médecin qui proposa de partager son savoir lors d’une conférence payante. Certains de ses confrères refusèrent de débourser la somme demandée, et restèrent à l’extérieur de la salle, tout en entendant chaque mot prononcé. Est-il permis d’agir ainsi ? Devaient-ils payer leur place ? Ou encore, payer une somme au prorata de ce qu’ils avaient appris de lui ?

Du Choul’han Aroukh (Yoré Déa 336,3), nous apprenons que le savoir d’une personne est considéré comme valant beaucoup d’argent, bien qu’il ne se concrétise que par un son qui est l’expression de cette même personne.

Le responsa Divré Malkiel (partie 3 chap.157) s’interroge au sujet d’un homme qui aurait inventé un remède, payé les droits de le commercialiser, et publié son permis de vente. Une autre personne voyant ce travail déjà fait et les frais couverts par l’inventeur, recopie son permis, reproduit le même médicament et se met à le vendre sans débourser le moindre sou. Le Divré Malkiel en déduit qu’il est clair que si ce dernier a causé du tort au premier, il sera dans l’obligation de l’indemniser, même si ce dommage provient de causes très extérieures à l’action première.

Cependant dans son responsa, le Maharcham (tome 2 chap.102) préfère s’intéresser au cas où Réouven aurait été l’initiateur d’une invention, et aurait tout bonnement transmis en héritage ce savoir virtuel à sa fille. Un certain Chimon, étranger à cette famille, imite cette invention, et en fait commerce jusqu’à ruiner la famille de Réouven. Que prévoit la loi pour une telle conduite ? Chimon a-t-il volé quelque chose aux ayants droit de Réouven ?

Il répond que l’interdit en question n’est pas lié véritablement au vol, mais porte atteinte aux droits fondamentaux de Réouven. Le père n’ayant légué à sa fille que son savoir et pas quelque chose de plus concret – par exemple une marchandise –, Chimon ne peut être considéré de ce fait comme un voleur : que leur a-t-il dérobé au juste ? Il faudra cependant se pencher sur ce cas pour trouver un compromis valable ! 

Il en résulte qu’il est bien évidemment interdit d’écouter à travers les murs la conférence d’un médecin talentueux, car cela lui causerait une perte du fait de manque à gagner des places non payées. Toutefois dans le cas où des personnes seraient passées tout bonnement par là et en auraient profité, elles ne lui doivent rien, parce qu’elles ne lui ont rien fait perdre puisqu’il n’était pas prévu qu’elles soient présentes.

A plus forte raison dans le cas du chantre Haïm : ayant reconnu lui-même qu’il n’aurait jamais accepté Zékharia dans son cours, ce dernier ne lui a donc causé aucun préjudice. Que lui devait-il au juste ?

Le sujet traité par le Atté Lémachal (Baba Kama cours n° 4) est fort ressemblant. Il rapporte le cas d’un rabbin de communauté qui donne sa conférence hebdomadaire devant un vaste public. Il s’avère que plusieurs participants, qui ne faisaient pas partie de cette communauté, et donc ne contribuaient en rien au salaire du rabbin, avaient profité abondamment de ses connaissances. La question qui se pose est de savoir si la requête de l’un des responsables de cette communauté, venu leur demander de participer aux frais généraux, est légitime. Son argumentation était qu’ayant largement profité de cette conférence, ils devaient contribuer aux frais qu’elle avait générés, tout comme un étudiant en médecine se doit de payer ses cours à l’université.Le Atté Lémachal n’entend pas donner raison au responsable de la communauté, car les participants n’ont en aucun cas causé de perte au rabbin, et s’ils n’avaient pas écouté le discours du rabbin, qu’aurait-il perdu ? Bien au contraire, le rabbin tirera un profit de partager sa Tora avec d’autres (Or’hot Tsadikim, 18ème porte).

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